ENTRE CIEL ET TERRE _ Pierre Lizin // Florence Marchal, 21/04/2016

Pierre Lizin est observateur. Il fait de la matière observée le sujet de son œuvre. Il n'a pas à aller très loin pour la trouver. La matière est là, sous ses yeux et sous les nôtres, mais comme la plupart, nous ne la percevons pas. Et si, ici, aucune représentation humaine ne figure, il n'en est pas moins, que nous en faisons partie, nous, lui, sans exception, habitants de la ville, citoyens de la terre, nous sommes au centre de son œuvre.

Pierre Lizin est patient, il prend le temps qu'il faut pour regarder, s'interroger, et par la-même, (nous) interroger. Comment, aujourd'hui, pouvons-nous vivre la ville, comment peut-elle être viable, que faire des déchets qu'elle génère dans le cadre de l'hyper-production et consommation qui caractérise notre société? Comment sortir de l'engrenage inexorable, né des temps modernes, qui, a contrario de Chaplin, ne semble proposer aucun retour en arrière ? Et de son contre-tempo en ressort l'immonde, ce qui n'est plus pur, la face cachée du monde sur lequel nous bâtissons notre empire : les objets produits et ses détritus, ceux qui servent à la fabrication, ceux qui résultent du trop-plein, des envies suscitées bien au-delà de nos véritables besoins. Il s'en tient d'ailleurs à exploiter ce qu'il croise, fait de l'économie de moyens son credo, produire sans ajouter de l' « encore-plus », travailler une matière éphémère, qui passe et ne reste pas, ne s'impose aucunement dans l'espace dit-public, en y interrogeant ce qui reste de notre liberté, de ce que nous y sommes encore autorisés à penser, vivre et partager.

Sans aucun doute, bien que sans jugement, le travail de Pierre Lizin procède d'une démarche engagée, non sur le devant des barricades, mais quelque part en retrait, là où la remise en question est possible. Car si le constat implacable de la chute annoncée s'affiche par la métaphore d'un ballet de gravats en latence, flottant entre ciel et terre, Pierre poursuit sa route en quête de réponses, nous confrontant une fois de plus. Par le truchement de ses images agrandies, telles des reliques magnifiées dans les light boxes, nous pouvons prendre le temps de découvrir une part de notre réalité, celle qu'aisément nous évitons. En lui conférant un statut artistique, Pierre Lizin nomme et donne un sens à cette réalité en friche, car ces immondices ne sont que les traces de notre existence, des kilos d'histoire que nous laissons en héritage, et que nos successeurs n'auront d'autres choix que d'accepter.

Le ciel bleu a le mouvement d'un éveil, écrit Gaston Bachelard1 résonance avec les chutes posées à même la terre, s'invite une suite, un possible à imaginer, pour autant que l'on veille à ne pas amenuiser chaque jour un peu plus, ce qui fait tourner nos rouages.



Florence Marchal
1 Gaston Bachelard, L'air et les songes, Essai sur l'imagination du mouvement, Paris, Librairie José Corti (coll. Le livre de Poche, n°4161), 1943.
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